HAUT-LE-COEUR
Allez c'est parti, c'est le grand rush ! Au diable l'avarice ! Le sapin majestueux est décoré, orné de boules colorées, Les guirlandes disposées dessus, les lanternes allumées. Les chants et contes surannés de notre récent passé Se déclament telle une tirade en liesse, plaisir démodé.
La table est dressée, les candélabres dignement installés. Les ronds de serviettes en argent; de sortie, la belle vaisselle, La nappe en velours, une couronne de fleurs tout autour, Verres en cristal, garnitures de pacotille, soupçon de fantaisie. Bling-bling ! Faut que ça pète aux yeux, l'illusion d'être heureux.
On est prêts à se déguiser ? Après tout, c'est une farce ! Un jour dans l'année où les grandes familles se font face. Les sourires se dessinent sur les visages cauteleux. On respire un grand coup, vivement que minuit arrive,
Un arrière-goût de bûche dans la bouche et d'alcool qui enivre.
On irait bien à la messe de minuit serrer la main du voisin, Celui qu'on ne voit jamais, planqué en été au fond d'son jardin, Prendre des nouvelles de la gâteuse tantine avant qu'elle n'expire, Se donner bonne conscience ! L'important, c'est d'avoir des témoins, Ceux qui diront plus tard que vous êtes un type vachement bien !
On se sera sustentés d'un menu coûteux et gourmet De fruits de mer à gogo, de champagne coulant à flot, d'zakouskis, Après tout pourquoi s'priver ? Y en a qui vont bien au ski ! A chacun ses plaisirs sauf que just'à côté, y en a qui crèvent De froid dans la rue, qui migrent, qui n'ont plus de rêves.
La fête est finie ! On s'est bien marrés ! On a cassé du sucre Sur le dos des absents, on n'a même pas songé à nos disparus. Un dé d'Amaretto avant de prendre la route. Une soirée de lucre En tout bien tout honneur. Comme M'sieur et M'dame tout l'monde Bas les masques ! Emportez vos cadeaux, embrassez-vous sous le gui.
Les mauvaises langues diront que je suis, d'la vie, une âme perdue ! Mais j'm'en fous de ce qu'on peut penser de moi, j'suis bien au dessus. Juste que ça commence à franchement me prendre la tête Toutes ces mascarades, cette pièce de théâtre où les trouble-fêtes S'en donnent à coeur joie aux quatre coins de la planète.
J'vous promets de vous souhaiter les voeux, en toute sincérité. Mais je le ferai en temps et heure, selon ma propre volonté. Joyeux Noël, bonne année ! Tant qu'à faire, agréable Épiphanie. Et tant pis si je me suis fait de nouveaux ennemis, Je les accueille à bras ouverts dans mon temple d'authenticité.
D'après une très belle photo de Manuela Rohrer, publiée avec son autorisation.
