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TROIS PETITS POINTS DE SUSPENSION

Moi, j'avoue, je suis un tantinet prétentieux : un gosse de banlieue, certes parfois un peu trop sérieux, mystérieux, malicieux, mes binocles recouvrant mon visage et le marron de mes yeux. A deux mois de la Saint-Nicolas, je coche sur les revues tous les jouets que je désirerais que mes parents-fantoches m'offrent; pour Noël, je pioche comme dans un coffre une multitude de cadeaux sous le sapin artificiel : une nouvelle console de jeux, des vêtements de marque, un I-phone avec toutes les applications. Je fais du mieux que je peux pour étudier même si je ne ressens aucune motivation. Je ne sais pas ce que je ferai plus tard. Je ne veux même pas le savoir. Si peu de choses me donnent satisfaction excepté les matchs de foot et, où je puis exercer mon pouvoir, dans la cour de récréation. De toute manière, mes viocs ont de quoi pourvoir. Ils s'escriment à m'apporter une bonne éducation; je reçois même de bons points, "plic-ploc". Auprès de mes copains, j'ai à coeur de capter toute leur attention, jouer au malin, au grand garçon, forcer leur admiration. Et surtout échapper au quand-dira-t-on. J'ai faim de tout ce que je ne peux avoir. Je lorgne les gamines sur la foire alors qu'elles s'empiffrent de croustillons. Je suis un tantinet jaloux, curieux de tout envers et contre tout. Je ne sais quand je serai adulte si je deviendrai sage ou fou. J'admire les bagnoles dans la rue, et pas celles d'occasion. Plus tard, je saurai conduire un camion et foutre des torgnoles aux couillons ! J'veux qu'on me vénère comme un Dieu, que personne n'ose me regarder dans les yeux, que mes condisciples tournent les talons, on me baptisera "L'apollon" ou "Le roi lion".

Je m'appelle Hawa, celle qui pique. Je proviens d'Afrique dans une contrée où tout est problématique, pathétique : la guerre et ses répliques, le joug des militaires, les œillères du peuple face à la corruption, les voyages utopiques vers d'autres régions, ou pays d'Europe, surtout l'Angleterre, selon. Je végète dans une hutte, une cahute où chaque nouveau jour est une forme de lutte. Contre la misère et la faim. Je ne connais que de loin le mot "festin". Je crois néanmoins en mon destin. J'ai la foi en de prometteurs lendemains. J'ai renoncé à aller à l'école, depuis quelques mois. Car je dois subvenir aux besoins de ma famille, de mes frères et mes soeurs. Et chacun de mes pas me guide vers un intarissable labeur. Je n'en peux plus, j'ai mal au coeur. Je tourne de l'oeil sous cette accablante chaleur. Les pieds en lambeaux, j'avance, défiant mes terreurs et mes peurs. Marcher jusqu'au puits le plus proche, remplir des jerricanes d'eau en pleine savane que même s'en souviennent les courbatures de mon dos et à mes talons, la poussière qui s'y accroche. J'ai appris à travailler les matières, à fabriquer la poterie, à ramasser le coton, j'ai même cousu des tissus, je sais quasiment tout faire, même chasser les sorcières et le démon. J'éprouve la nuit, des frayeurs. Je surprends parfois des cris. Des ombres se dessinent, qui s'affrontent et s'assassinent. Mon esprit est continuellement en faction. Sur le qui-vive de mes traumatismes qui s'activent, au péril de mes espoirs en dérive qui m'affligent. Je sais que j'ai raison mais je ne peux rien dire, juste subir leurs affronts au risque de périr. Esclave sexuelle, je pourrais finir, mais bon, je suis lasse de toute cette abnégation, de me taire pendant que je prends conscience de toute cette horreur qui se perpétue au gré de nos traditions.

Je suis Noa. Petite fille de Syrie, là où tous les combats font rage. Je suis un oiseau brisé, dont on a arraché les pattes, cloué dans une cage. J'ai perdu courage. Je ne me souviens même plus du bleu du ciel, ni de mon âge. Je suis née dans un berceau de cendres, de fumée, de détritus, de poudre, d'obus, de résidus, certains me nomment "le scaphandre". J'échafaude un infini voyage où j'irais à la rencontre de l'exil du soleil. Mais autour de moi, les villes vieilles ont été décimées, les maisons éventrées, les murs effondrés, les bâtiments calcinés, mes aïeux traînés dans la boue, charriés sous les roues, avec une violence inouïe, ont été vilipendés, torturés, écrasés, immolés, lynchés, crucifiés. De simples civils, par milliers. Des gens comme vous et moi, des jeunes, des puînés, mes racines, ma terre, mes ailes, Des vies somme toute réellement parallèles. Cela fait maintenant quelques années que cela dure. Personne ne bouge, c'est toujours pareil. Sont tellement durs mes réveils... Je m'imagine pousser des murs plus hauts que mes frontières d'enfer, prendre mes jambes à mon cou et ne plus toucher terre. M'envoler loin. Cesser de respirer les retombées de ces matières qu'a créées mon Aîné, d'entendre les sirènes, subir les couvre-feux, me retrouver le ventre par terre alors que tout autour de moi peut à tout instant, exploser. Quelle galère ! Je me méfie des bruits qui courent comme quoi ma nation est en phase d'être libérée. J'ai hâte de courir, libre comme l'air, sur les pavés dorés de ma citée adorée, où les fragments de chair de mes semblables avaient tâché de résister, et où leurs bras imaginaires me blottissent pour me protéger.

Et Moi, j'ai rêvé d'un autre monde, où ils se seraient rencontrés,

A la reconnaissance de leur égalité à travers leurs différences, Un appel à une réelle prise de conscience et à la tolérance, Respect pour tous ces enfants privés de leur liberté.

...

D'après une très belle photo de Christian Molitor, publiée avec son autorisation.


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