L'ANEANTISSEMENT
- florencequoilin18
- 2 nov. 2017
- 2 min de lecture
Mon vieux, il papote, il radote, il "racuspote" Sur le coût de la vie, le prix du pain, des fruits, des biscottes. Il a ses habitudes, surtout celles du petit matin. Toujours se lever aux mêmes heures, écarter le rideau, Voir ce qui se passe dehors, dire bonjour au voisin. Laisser sortir le chien, espérer que le ciel sera beau Et puis prendre un p'tit café. Aller chercher son journal, En tourner les pages inlassablement. Allumer la télé Pour écouter les infos du monde et les régionales. Dès l'ouverture, mon vioc se rend au supermarché Sauf qu'il est pressé d'être servi en premier. On a du mal à comprendre mais c'est ainsi qu'il vit. Vient le jour du marché. On le voit acoquiné, le jeudi De son caddie qu'il traîne le long de la chaussée. Il arrive vaille que vaille, chausse ses lunettes Afin de ne surtout pas perdre une miette Des chalands qui défendent leurs produits. Il goûtera à la divine soupe de blettes, Il en fera certes un dimanche, un repas de fête. Puis, avant de rentrer, il passera par l'estaminet En vue de jaspiner avec un quidam; il prendra l'apéro Il reviendra chez lui, guilleret ou lourdaud. Il mangera une tartine au son bavard de la radio. Dans son rocking chair, la sieste l'emportera, Il aura perdu tout repère. Du moins, il s'endormira. Dans l'après-midi, il recevra parfois de la visite, Enfin un souffle de vie ! Il posera la marmite Sur le bord de la cuisinière. Ce sera l'heure Du portage ou d'une tasse fumante de thé. Un avant-goût, quelque part, du bonheur. Mon vieux, la chaleur lui fait souvent peur. Il craint l'été, les nuits à ne pas dormir Alors que précisément, il a toujours froid. Il songe à l'hiver, au fourmillement de ses doigts, Aux premières gelées, aux fleurs à rentrer, Aux derniers légumes à arracher Dans le verger où les poires choient Au pied des arbres aux feuilles qui ploient. Et puis il pensera aux fêtes, où il sera seul, Il rédigera une lettre de son écriture fluette, Il couchera sur papier ses dernières volontés Alors qu'il a encore sa santé et toute sa tête. Mais il s'ennuie. Il déteste être dérangé : L'orage qui gronde, les gosses qui crient dehors, Les amoureux qui se fondent dans le décor. Il imagine alors le cheminement de son cercueil Dans lequel son âme pourra désormais expirer. Il espère juste entendre le tintement du clocher, Gaiement raisonner; réunir du monde à ses côtés Tandis que son corps part doucement en fumée.
D'après une photo de Francis Beddok.
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