LES NUITS

Certains comptent les moutons, D'autres écoutent chanter les oiseaux. Il y en a qui dansent sur les tables, Les inénarrables racontent leur vie. Tapent le carton, taguent les murs, Conduisent les touristes en taxi, Courent les rues, partent en voyage, Photographient les ponts de Paris, Se relèvent pour écrire, allument l'ordi, Se téléphonent, prennent des nouvelles, Font l'amour, se rendent à l'hôtel, Fréquentent les bars ou les bordels, Souffrent fréquemment d'insomnies. Quelques-uns rêvent ou cauchemardent, Se lèvent pour taire leur ennui, Regardent la télé, branchent la radio, Font hurler leurs tympans dans leur casque, Consultent leur portable, lisent leurs mails, Rient aux éclats en bout de table, Un verre de cognac à la main Qui se fracasse sur le sol et claque Sur le carrelage à damiers opaque. Il y en a qui dorment à la belle étoile, Dans des cartons, des sacs de toile, Au bord de l'océan, les migrants, Des sans-abris, des pauvres gens Qui déambulent vers le néant, continûment. Les marchands installent leurs étals, Où s'étalent des breloques, bijoux de pacotille, Tout ce qui scintille, éclate et brille Explose les mirettes d'inepties. Le boulanger prépare ses bâtards, Il ne craint pas de se coucher tard. Le chanteur boucle son dernier concert, Ramassant à ses pieds les phylactères Que leur jettent les groupies en folie. Le vieux Marcel va acheter ses cigarettes Au paki d'à côté, le peignoir sur ses épaules, Recouvrant son marcel, les pantoufles aux pieds. On y croise des chats errants,des chiens galeux, Des joggeurs, des malfrats, des truands, Des arbres tristes qui ploient sous le poids De la neige et de la mélancolie mêlées. Les nuits, tous les secrets sont bien gardés.

D'après une photo de Dominique Bression, publiée avec son autorisation.