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Billet 10. Brigitte.

  • florencequoilin18
  • 16 mai 2017
  • 3 min de lecture

Dans notre chaumière à l'orée du bois, nous n'avions pas de voisins directs. Beaucoup avaient déserté le village afin de tenter leur chance à la ville, à notre péril. La dernière quincaillerie avait clos ses volets et nous avons ainsi vu apparaître au sein de notre bourgade le premier supermarché. Nous avions reçu dans la boîte aux lettres la publicité et les bons à découper. Petite Mère trépignait d'impatience. Elle décomptait les jours. Elle comptait bien sur le chant du coq afin de la réveiller car les cinq premiers arrivés au seuil de la porte d'entrée du supermarché auraient droit à un poulet roti ! Elle avait même été reluquer les caddies, et avait disposé, sur le secrétaire, sa plus belle pièce de monnaie.

Le dimanche de la fête des mères allait arriver. Or, ma mère biologique s'était fait la malle depuis longtemps. Je désirais donc me rendre au supermarché avec ma grand-mère afin de découvrir ce qui ferait partie, désormais, de notre lot quotidien et afin d'y repérer un cadeau en vue de la fêter. Les premières chaleurs aussi étaient arrivées, annonçant le trépas aux saints de glace et à leur cortège funeste de giboulées tardives et de plaines recouvertes de givre.

Le soir commençait à décliner. Nous nous prélassions dans un hamac, au fond du jardin. L'air était pur, les oiseaux chantaient, la lumière était belle, nous récitions des alexandrins. Nous avions allumé la lanterne, chandelle acoquinée à la balancelle qui nous éloignait des turpitudes d'un monde hostile dont nous avions à coeur de nous soustraire à défaut de leur plaire. Mais, soudainement, les feuilles du grand saule se mirent à trembler, à virevolter sous le joug du vent et un éclair a déchiré le ciel. Comme quoi, la nature reprenait ses droits. Heureusement, nous n'avions pas pris la peine de sortir les jardinières, de la remise. Avec fracas, la pluie se mit à tomber sur les pavés descellés de la cour. Sous nos pieds, une imaginaire Tamise s'est mise à danser. Petite Mère s'est emparée du linge qui séchait sur les fils de la cordelette. Elle s'est pressée à l'y déposer au creux du panier en osier.

Et tandis que j'allais regagner le garage, mon attention fût attirée par une jouvencelle. Sa frêle silhouette était tapie dans l'ombre des fleurs de lin, sous le regard envoûtant des lupins. J'ai remarqué son teint hâlé, ses lèvres ourlées telles les vagues de la mer du Nord, ses cheveux d'un noir de jais, ses sourcils lourds et épais, un air d'ailleurs, perdue parmi les coquelourdes. Mais subsistait un doute. Qui était-elle ? Que faisait-elle là ? Pour le surplus, elle n'avait pas l'air trop gourde.

Je l'ai vue déguerpir tel un léopard mais il est vrai qu'il se faisait tard et que l'orage y avait mis un tantinet de rage qu'au vu de son jeune âge, il valait mieux qu'elle retourne d'où elle venait. J'en ai discuté avec ma grand-mère lorsque je suis rentrée. Celle-ci m'a annoncé qu'elle avait appris d'une façon inopinée l'arrivée de nouveaux occupants, des saltimbanques, qui avaient racheté la maison abandonnée jouxtant la nôtre et qu'ils avaient comme projet de la rénover. Nous aurions donc des voisins, à défaut de sang, des frères et soeurs de liens.

J'étais plutôt ravie, j'espérais m'en faire une amie car, à l'école, dans la cour de récré, bien peu de gamines me faisaient partager leurs plaisirs gustatifs : de leurs bâtons de réglisse aux bonbons à la violette, j'étais l'abonnée absente, telle une muette ayant perdu sa langue, celle qu'on vilipende, qu'on aurait fait brûler sur un bûcher sans raison apparente. Sauf qu'elle gênait, qu'elle voulait apprendre alors que les autres aimaient être flattées et vouloir paraître plus grandes que ce qu'elles ne l'étaient. Et surtout bien moins intelligentes... Enfin tout ça pour vous dire que je l'ai vu me sourire, ça n'a pas duré très longtemps mais c'était un très beau moment. Le lendemain matin, tandis que j'arpentais le sentier de l'école, je l'ai aperçue grimper dans l'arbre centenaire, où avait pris naissance la clairière de mon enfance.

d'après une photo de Cathy Osztab Borie partagée avec son aimable autorisation.


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