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Billet 11. Trop belle pour moi ☹

  • florencequoilin18
  • 16 mai 2017
  • 3 min de lecture

Cela faisait quelques semaines maintenant que Brigitte et moi nous étions apprivoisées et à force de nous fréquenter, nous étions devenues d'inséparables petits diables au grand dam de Petite Mère car je manquais souvent à l'appel, au dîner aux chandelles. Je lisais beaucoup moins aussi. Je délaissais Sartre et Guitry. Si nous avions été soeurs, j'aurais pu dire que j'étais de trois ans, sa puînée. La féminité troublante de Brigitte gagnait le coeur de nombreux soupirants dans le village, ses décolletés plongeants, la courbe de ses hanches, ses épaules bien rondes, ses seins en éveil, ses longs cheveux négligemment attachés, ses jupons indélicatement relevés lorsque nous grimpions dans les arbres ou ramassions les oeufs à même le poulailler accrochaient le regard de ses courtisans planqués derrière les haies. Sans s'en douter le moins du monde, elle aurait pu représenter l'icone de la concupiscence incarnée. Il nous arrivait de nous pageoter au creux même des meules de foin qui ornaient désormais les champs, perdues dans les pavots sous le halo soyeux des coquelicots. Il ne nous restait plus qu'à patienter une dizaine de jours afin d'assister à la récolte des graines de chou (colza) dont le jaune flamboyant décorait gaiement les prairies et où aimaient paître les chevaux sauvages. Je n'avais plus d'âge, j'avais perdu la notion du temps, moi qui étais si sage, les mois d'avant... La maison abandonnée de ses parents reprenait ses droits, elle aussi. Nous menions une vie somme parfaite, tambour battant.

Mais un soir, alors que je rentrais un peu trop tard au goût de ma grand-mère, celle-ci scanda mon prénom dans l'entrée tandis que j'avais envoyé valser mon cartable et que mes livres et crayons colorés s'étaient entremêlés dans un capharnaüm inopiné. Petite Mère me somma de porter le tablier et de l'aider aux tâches ménagères dont, il est vrai, je m'étais débinée au profit de mon enfance qui doucement, s'en allait. Elle m'attendait de pied ferme aux fourneaux ! Je devais éplucher les patates et préparer la tête de veau ! Cesser de traîner la savate et me couvrir d'oripeaux ! Alors que Brigitte grattait ses ongles manucurés sur la porte d'entrée, qu'elle tambourinait à toute volée, je ressentis beaucoup de contrariété dans les battements de cils de Petite Mère mais que pouvais-je faire ? J'étais tellement partagée. Pour le surplus, je m'apprêtais à dresser le couvert. Finalement, nous n'avons pas ouvert. Je n'ai pas osé faire un pas de travers, me hasarder jusqu'à l'œilleton. Et elle a décanillé, emportant sous son sillage un flot de blasphèmes et de jurons semblable à un tourbillon sous les auspices d'un dévastateur orage. On était loin du beau brin de fille en bas nylon qui portait si bien le corsage, laissant entrevoir le bout de ses tétons.

D'après les dires de mon aïeule, Brigitte cueillait les fleurs dans les jardins des voisins et allait les revendre sur la place du marché. Elle ne reculait devant aucun sacrifice pour arriver à ses fins. Elle la décrivait en des termes peu élogieux, la traitant de gredine, friponne, fanfaronne ! Elle l'avait surprise en train de dérober des cierges à l'église et dans les rayons du supermarché, s'emplir les poches de bonbons acidulés.

Donc, Petite Mère m'a annoncé qu'elle allait tout simplement, de notre existence, la

congédier...

D'après une très belle photo de Maryanick Gauthier, publiée avec son autorisation.


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