LES NAVETTEURS
Le train
Posée à même la banquette dépareillée Où mes fesses épousent les courbes Des sièges en cuir, ou en velours côtelé, D'où les franges effilochées se mélangent Au goût rance et âcre du compartiment, Je regarde par la fenêtre le paysage, défiler Et eux, à côté de moi, semblent absents. Ils ont leurs yeux vissés sur leur petit écran, Smartphone, tablette, console de jeux, Le papier écorné a perdu de sa superbe. Je déambule tel un funambule, je perds pied. Une blondinette coquette aux épaules dénudées Attend son train, l'air baladin, avec son chien. Une maquerelle à la chevelure ondulée Flanquée d'apparats, des bagues dorées Ornant chaque doigt, hurle dans son téléphone. Il y en a certains qu'on souhaiterait muets. Je ne vois plus les amoureux s'embrasser, Leur regard est planté, désormais, sur leur iPhone Mais qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai perdu le fil.
Le métro
Sa bouche tremblante sous le halo de la laideur Ses tunnels longs et impersonnels, où la peur Te gagne, t'emberlificote vers d'inénarrables terreurs Où le bruit tonitruant semblable à un goéland Recouvre de son cri l'immensité de l'océan. Tu es le badaud, le passager du néant, le serpent Qui s'enroule sous le joug de son impersonnalité. Juste valider le ticket, ne pas espérer resquiller. Les rails s'entrecroisent, s'entrechoquent, pavoisent Alors que le petiot savoure ses dernières framboises. Faut bien tuer le temps... Il fait toujours nuit dans le métro. Il ne fait jamais beau, son ciel est un tombeau D'arcs en acier, de ferrailles usagées, de toiles d'araignées, De vestiges du passé, où les murs sont flanqués De carreaux déglingués, de tags et graffitis, De signatures, de paraphes, de coeurs aigris, Il ne manque que la parole aux parois souillées, Elles auraient bien plus à dire que mille pleurs ou rires. Juste ne pas se tromper de ligne, arriver à bon port Juste croire à sa bonne étoile, pas toujours porter la guigne.
L'autobus
Il arrive, bien à l'heure. D'abord saluer le chauffeur Poinçonner le ticket. Des trou-trous dans le billet. Trouver une place, de préférence près de la fenêtre. A l'avant, à l'arrière, pour certains, ça a de l'importance. Je n'ai jamais compris puisqu'au fil de notre errance, Nous n'y passerons que si peu de temps, à mon sens. Et c'est là que le hasard fait plutôt bien les choses, J'y retrouve "machin chose" lisant "Le Petit Chose". Je le dérange alors qu'il tourne frénétiquement les pages De son ouvrage. Il fait fi de ne pas me reconnaître. Ah oui, je suis d'un autre temps, une vieille conquête ! Mais aujourd'hui, j'ai bien envie de bavasser, jaspiner Et j'ai jeté mon dévolu sur cet érudit chevalier. Il me toise de son air hagard, je ne perds pas espoir. Je m'installe à côté de lui, lui tends un bouquet de guis Il paraît que ça porte bonheur pour la nouvelle année. Je prends connaissance des dernières nouvelles. Il a quitté la maisonnée de son enfance; la vie est belle. Sauf que le petit chat est mort, ça me fait de la peine. La fin du trajet est amorcée... Il faudra que je revienne.
D'après une photo de Francis Martin, publiée avec son autorisation.