Billet 8. Refuge au grenier
- florencequoilin18
- 4 mai 2017
- 3 min de lecture
"Il tombait des hallebardes en ce dimanche 2 mai. Le chant des oiseaux s'était tu, désormais; je ressentais à travers tous les pores de ma peau, un froid obscur et cru, un tintamarre dans mon cerveau. Je n'avais pas fermé l'oeil de la nuit alors que j'avais bien avancé dans mes besognes, le jour d'avant. J'avais délaissé le marronnier feuillu pour me consacrer au repiquage des choux d'automne, j'avais récolté les radis que je croquais à pleines dents, alors que la terre les habitait encore, comme les veines de mon sang, les asperges fraîches et laiteuses, j'avais ramassé les oeufs dans le poulailler, caressé le museau du poney baveux et flatté mon odorat des brins de muguet guillerets, aux clochettes joyeuses. Nous attendions la visite de la cousine de Petite Mère pour le déjeuner, une visite courtoise et éphémère mais qui nous permettait de nous extraire de notre vase clos dont nous étions malgré tout les esclaves alors que notre sourire flottait à sa surface. J'aimais me réfugier dans le grenier, où une odeur âcre et empoussiérée s'était déposée sur une multitude d'objets même que je le trouvais, pour une mansarde, propret et bien rangé. Mon vélo s'y trouvait entreposé et un porte-manteaux ornait un pan d'un mur en déperdition. Le crépi se creusait en de multiples endroits mais là, curieusement, je n'y avais jamais froid. J'avais même occulté les toiles d'araignées et les souris qui esquivaient des pas de danse au timbre des nuitées teintées de silence. Tandis que j'avançais dans cette pièce macabre, je fis la découverte d'une malle. Alors qu'au préalable, je ne l'aurais jamais ouverte, j'ai bien eu hâte à y planter mes mirettes. Le verrou de celle-ci était rouillé et avait cédé et juste à côté, était posée une clé, sur une desserte déglinguée. Dans cette malle au teint palot, délavé, vieilli, suranné, sous l'emprise d'une humidité ma foi fort avancée, j'ai déniché des rideaux en dentelles, des draps de flanelle, un cache-poussières datant de la seconde guerre, des 78 tours, même qu'un gramophone y était planqué sous une couverture duveteuse, des souliers vernis, polis, mais aussi des photographies, en noir et blanc, mais qui, à mon estime, n'avaient pas vieilli. Au fil de ma curiosité, j'ai ouvert ces albums, ces livrets, les vestiges de mes aïeuls, des fragments de leur passé, leurs vies délestées, les souvenirs dont je les dépouillais. J'étais fascinée par la beauté de leurs traits, l'expression que je lisais sur leurs bouilles de fripouilles, la fine moustache peinte sur le visage de mon père disparu, les favoris lui donnant plus que son âge, son air altier, tel un prince enfermé dans une prison dorée; ma mère, si belle et si fière, une reine aux cheveux noirs de jais, gracieuse tel un cygne évoluant au rythme d'un étang glacé que je me suis demandé à qui ils avaient bien pu ressembler... J'étais éberluée de me retrouver face à face, au pied d'un muret au grenier, à de tels secrets gardés, cachetés à tout jamais.
Moi, j'aurais voulu qu'ils s'envolent, qu'ils crèvent ce plafond de déraison, qu'ils écartent ces murs si peu frivoles, qu'ils reviennent parmi nous, semblables aux quatre saisons, qu'ils éteignent les murmures et en expatrient les garde-fous. Mais voilà, j'ai entendu ma grand-mère scandant mon prénom à tout va, d'en bas, même que je ne me suis pas reconnue dans le miroir qui jouxtait la guitare aux cordes en désordre et sur le plancher, la confession d'un archaïque accordéon.
J'avais perdu mes repères mais, heureusement restaient les mailles de ma mémoire, en pâmoison".
D'après une photo de Francis Martin, publiée avec son autorisation.
Comments