Billet 7. La lettre
- florencequoilin18
- 4 mai 2017
- 3 min de lecture
"Je me souviendrai toujours de ce samedi-là. Je m'étais levée au saut du crépuscule afin de poser à même mon opuscule, ma plus belle écriture. Nous étions le 1er mai. Un bouquet de muguets trônait, telle sa majesté, au chevet du guéridon acoquiné de tulipes au coloris pourpre, mes préférées. Le ciel était chargé de tourments, des nuages noirs déchiraient ma quiétude, sciemment. J'avais du pain sur la planche ! Je n'aurais pas à connaître l'angoisse de la page blanche, en ce jour férié ! Le jardin m'attendait de pied ferme ! Même que la fourche et la binette s'en souviennent, à tout jamais ! J'avais à coeur de planter les derniers bulbes d'été, composer les bacs à fleurs, notamment de géraniums tout en prêtant attention au passage de Saint-Mamert, Saint-Pancrace et Saint-Servais ! Après, mai pourra faire ce qu'il lui plaît ! Fallait aussi songer à semer les carottes, bouturer le lilas, jeter un oeil sur les fleurs du pommier. Je tenais un journal de bord qui avait trait au verger, doublé d'un calendrier où j'annotais les tâches à effectuer, au jour le jour. J'étais une petite fée bien organisée, et sous l'emprise de la terre, son grain d'amour. Mais ce matin-là, alors que mon chocolat chaud frémissait dans la bouilloire, j'aperçus une enveloppe décachetée, une lettre offerte, sur le buffet empoussiéré. Dès lors que plus encore, je m'en approchai, je sentis mon coeur battre la chamade. Je reconnus d'emblée ses pattes de mouches écrasées sur le papier écorné. Ma mère avait envoyé une missive à Petite Mère, une brève où elle la prévenait d'une prochaine visite, inopinée. J'ai cru que le ciel allait me tomber sur la tête ! Nous coulions des jours heureux, ma grand-mère et moi, cela faisait quand même quelques mois que nous n'étions que nous deux et notre devenir était constamment en quête de découvertes. Nous avions projeté de partir à la montagne, loin des pays de cocagne, nous baguenauder, prendre l'air, admirer les cascades, les chamois, emplir nos poumons d'émoi mais tout était soudainement remis en cause. Oh sinistrose ! Dans cet écrit, elle restait évasive quant à ses projets, si laconique, elle biaisait, en théorique. Je me suis assise au pied du fauteuil en osier, dans la salle à manger à relire et relire son billet inanimé et prise de coliques, j'ose l'avouer. Mais que voulait-elle, au fait ? Avait-elle besoin d'argent ? Nous n'en avions pas ! Un logement ? Mais à ce que je sache, elle n'avait jamais aimé la campagne. Elle était partie vivre sa vie au timbre de la ville, au mépris du silence et là, elle annonçait son passage imminent. Je me mis à compter les piécettes que j'avais gagnées à la sueur de mon front sur la place du marché, celles qui nous auraient permis de prendre la poudre d'escampette, Petite Mère et moi. Que ne sonne jamais de notre complicité, le glas ! Je savais que Petite Mère n'allait pas tarder à se lever, donc je pris mes jambes à mon cou et j'ai décanillé ! Au l'ombre du marronnier, j'ai posé ma besace, mon cahier à spirales et je me mis à frissonner, à rêver à ces massifs rocheux blancs, parés de pureté, des paillettes de neige parsemées, de petits villages perdus à l'orée de la forêt, des maisonnettes fluettes aux allures guillerettes où l'âme d'un poète pourrait, gaillardement, s'y réfugier"
D'après une photo de Serge-Bernard Reat, publiée avec son autorisation.
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