Billet 6. Coûte que coûte...
- florencequoilin18
- 30 avr. 2017
- 2 min de lecture
"Le roti de lapereau était confortablement installé dans le frigo, acoquiné de petits pois du verger, sous le regard bienveillant du fenouil et de la mousse au chocolat dont le goût inné taquinait mes narines de papouilles. Sur mon assiette, de rares asperges étaient disposées. On était début du mois, en avril. Petite mère pensait déjà à semer le persil, à la récolte des pommes de terre, pour peu, elle aurait été visionnaire, un brin taquine. Alors que je gardais à l'oeil les poulains dans le pré du voisin, je vis s'approcher le dernier cul-terreux du coin, les bottes emplies de boue, la fourche à la main. Et bien oui, il avait l'air malin ! Crotté jusqu'à ses cottes, le pauvre gars qui n'a jamais vu la côte et qui ergote et rote à tout va... Ma grand-mère, d'un coup sec, a claqué la porte de la cuisine. En fait, peu de monde était autorisé à nous rendre visite. Si : les voisines et sa cousine. Et moi j'écrivais toujours plus longtemps même que Petite Mère m'avait offert une machine à écrire. Je m'y exerçais tandis que le soir, elle cousait, rapiéçait, tricotait. Nous n'avions pas le sou. C'est vrai, je l'avoue. Les fins de mois étaient difficiles, que nous soyons en novembre ou en avril... Il fallait régler les factures, se chauffer, même que le poids des couvertures ne suffisait pas à nous réchauffer. Même que le vieux bahut craquelé qui ornait un pan de mur contenait trop peu de pots de confitures. Le givre se claquemurait sur les fenêtres de la chambre à coucher si bien que les rideaux se sont déchirés. A même le parquet, le bois suintait l'odeur âcre de la naphtaline là où, chez d'autres, les abeilles butinent. Les copines, à l'école, se moquaient de moi. Je n'étais pas assidue au point de croix. J'étais plongée dans mes bouquins, toujours aux abois de découvrir un nouveau poème, des alexandrins alors que les chanteurs qui, dans leur micro, pleurent, étaient leurs idoles, leur écho. Certes, nous n'avions pas d'attraction, les mêmes pôles ou héros :) J'étais toujours perdue dans mes pensées. Alors que je contemplais les bûches se consumer dans le feu de cheminée, Petite Mère vint vers moi et déclara qu'elle avait beaucoup apprécié ce court séjour à la mer et qu'elle souhaitait revoir la montagne. J'étais stupéfiée ! Je n'aurais jamais subodoré une telle approche alors que, du monde, nous étions tellement fermées. Mais tel était son souhait... Mais pour ce faire, afin de gagner quelques piécettes, il ne me restait plus qu'à vendre des allumettes, sur la place du marché."
D'après une superbe photo de Martine Tiennot.
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