Billet 5. Il paraît qu'il n'y a pas d'amour heureux... ☹
- florencequoilin18
- 28 avr. 2017
- 3 min de lecture
Depuis notre réintégration au bercail, je ne cessais de l'observer, elle et son air absent, les cheveux en bataille, telle une femme de la campagne flanquée à sa fenêtre et je m'interrogeai sur ce qu'elle avait pu ressentir en contemplant la mer. Je l'avais surprise, là-bas, frissonnant de plaisir, pavoisant telle une reine de beauté dans sa robe froissée, mouillée par les vagues qui s'étaient écrasées à même ses pieds, l'écume dévorant les moindres parcelles de sa peau halée. Et oui, l'air salé de la mer, ça donne des couleurs, ça pique aux yeux, ça remue les poissons, ça décoince les narines et ça taquine l'imagination ! Et lorsqu'on décanille, cela provoque un déferlement de sensations et de pleurs. Surtout quand c'est la première fois qu'on aperçoit la mer, son ciel teinté de bleu-amer et sa belle lumière. Maintenant, je plante le décor sur notre parcours vers nos contrées. En fait, je n'étais pas partie les mains vides. De ma grand-mère, j'avais reçu des présents pour me remercier d'avoir été salutaire en choisissant ce billet de loterie, dans la librairie. J'avais emporté dans ma besace deux-trois bandes dessinées et un livre de poésie. Sur le chemin du retour, dans le train, entre deux stations, alors que Petite Mère bayait aux corneilles, j'ai saisi le recueil et ai écarquillé grand les yeux. J'étais devenue une hôtesse de la prose, du jardin de mes rêves, la princesse des roses, dont les effluves puissantes auraient pu remplir des flacons de parfum. J'étais née de bulles imagées, d'histoires romancées alors que les pages se tournaient avec malice et délice entre mes doigts complices et entrelacés. Mais trêve de rêverie, alors que les heures s'étaient écoulées sous l'égide de dame flânerie, nous étions déjà arrivées. Le périple m'avait semblé si court... J'aurais pu y passer des années. J'avais désormais l'esprit vivement animé, j'étais obnubilée par les écrits, les récits, ces noms de génie dont les mots dansaient au rythme de mes pupilles : Victor Hugo, Guillaume Apollinaire, Charles Baudelaire, Paul Verlaine et tant d'autres encore et surtout Aragon... "Il n'y a pas d'amour heureux"... Cela me laissait pantoise ... Déstabilisée, déconcertée. Pour peu, j'en aurais été fragilisée, terrassée. Comme était-ce possible d'avoir engendré un texte aussi triste, dramatique, sombre et obscur ? Mais, je vous avouerais que ma pire rencontre poétique fût celle avec Charles Baudelaire lorsqu'il évoquait son "spleen"... Là, j'ai cru mourir pour la patrie, fusillée sur place, dépouillée, dépossédée, crucifiée, amenée de force sur le bûcher, tellement j'ai porté ce texte en moi, longtemps, longtemps jusqu'à en ressentir une envie pressante d'apprendre les mots, de jongler avec eux, d'en faire des alliés de chaque jour que compterait ma vie afin d'aller à l'encontre de son discours, de faire acte de bravoure ! A vrai dire, j'avais pour mission de venir à son secours sauf qu'il n'était plus de ce monde depuis des lunes... mais bon... j'étais encore une enfant, naïve et dénuée de tourments, remplie de bons sentiments, sifflotant les mains dans les poches, le nez au vent, à la merci de galapiats taciturnes et de gavroches. Tout ça pour vous dire que sans ce billet de loterie, ma grand-mère n'aurait jamais vu la mer et je n'aurais pas eu la chance, si tôt, de tournicoter entre mes phalanges ces vers argentés. Bon, pour en revenir à nos moutons, quoi que j'aie l'impression de faire du coq-à-l'âne, certainement tenaillée par d'intenses émotions, nous avions donc regagné notre maison. Ma grand-mère avait allumé un feu de misère, où quelques menus tisons trébuchaient les uns sur les autres, telles des âmes à l'abandon. Nous étions intensément flapies. Son infusion de thé posée à même le secrétaire empoussiéré témoignait de sa volonté de s'endormir et de briller au firmament d'une nuit étoilée. Alors que je vis clore ses paupières semblables à des volets qui ont laissé filtrer par leurs interstices les voiles secrets de minutes dorées, j'ôtai les lunettes de son front. Je la blottis dans mes bras et lui demandai pardon.. Pourquoi pardon ? Parce que j'avais perdu la raison... Peut-être bien que sa Terre, je ne l'honorerais pas comme elle l'aurait souhaité... Peut-être bien que je voudrais voir le monde, aller plus loin..., aller à la rencontre de sa faconde, devenir un nomade, un baladin... Je ne sais pas. Pour le dire, c'était bien trop tôt...
En fait, pour résumer, j'aurais aimé, dès cet instant, être d'une minute, des milliards de secondes."
D'après une photo de Flo Richerataux publiée avec son autorisation.
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