Billet 4. Bain de mer :)
- florencequoilin18
- 25 avr. 2017
- 3 min de lecture
Comme on était bien, bras dessus, bras dessous, à poser un pied l'un devant l'autre sur le quai de la gare ferroviaire, à Ostende. L'air de rien, cela faisait du bien de sortir du train... Deux heures et demi de trajet, ce n'est pas rien. Je l'ai surprise soudain, les traits tirés, le visage creusé par la fatigue. Petite Mère n'avait plus vingt ans ! Alors, je lui ai proposé de nous rapprocher de la digue afin de déjouer une fois pour toutes cette intrigue ! Je la vis frissonner au cri de joie des mouettes qui chantaient à tue-tête, je me suis emparée de son émoi et je n'avais de cesse de guetter à la lettre en elle la moindre parcelle de ses infimes émotions en fête. J'ai senti les larmes jaillir de mes yeux, des pleurs lourds de plaisir sans qui, ce billet de loterie, n'aurait pas permis de nous l'offrir. Son regard se posait partout, tel un aliéné, un fou. Alors que le sable blond dessinait un coeur sous ses mirettes constellées de bonheur, qu'elle s'imprégnait du bruit des vagues, de l'iode, du ressac, je déployai à même les dunes sauvages un essuie et y disposai délicatement les gaufres de Bruxelles que j'avais achetées à la boutique du coin alors qu'elle admirait tout ce qui l'entourait. Le goût du chocolat chaud et de la crème fraîche titillait ses papilles mais bien moins que l'éclat de ses pupilles. Elle a planté ses yeux dans les miens et m'a dit "merci". Mais merci de quoi ? Toute l'année, elle s'activait, dès le crépuscule, ne connaissant des nuits que des croissants de lune évidés, elle se levait dès l'aurore pour préparer le café, le jus de pommes, la compote de prunes, selon la saison, les confitures à la fraise, les tartes tatin, les poires cuites au four, et bien sûr elle saignait le cochon, écorchait les lapins, ben oui, il le fallait bien... ! Et trayait les vaches dans les pâturages et broyait le cou des poules. Mais elle aimait aussi écouter le piaf des oiseaux et craignait les pies et les corbeaux jusqu'aux pigeons qui roucoulent. Elle n'avait plus d'âge, ma grand-mère. En fait, elle avait toujours été sage. La musique de notre silence nous berçait et cette vie m'apaisait, j'étais heureuse. Je n'avais besoin de rien, juste de sa présence et de son soutien, même que j'aurais pu devenir pieuse, s'il échet... J'apprenais bien à l'école, je ne ferais pas l'unif', bon mais je me débrouillerais toujours bien pour trouver un travail un peu moins harassant et de taille à nous garantir un peu de confort ou de réconfort sans l'usage du canif et au mépris d'improbables épousailles. Nous ne rêvions à rien, nous n'attendions rien. Nous survivions comme du champ au grain, sans peur ni chagrin, sans nous tracasser du jour à venir, du lendemain, au fil du temps qui passe, des semailles, des pages du calendrier que l'on arrache.
Mais voilà, je m'étais endormie ... Quelque part entre Ostende et Knokke-le-Zoute, je ne sais plus très bien...
Extirpée de mon rêve, j'ai vu sa silhouette avancer, gracile et frêle vers la mer qui ondulait. Je voyais son ombre danser sous sa robe froissée.
Elle est entrée dans la mer qu'un instant j'ai pensé que n'existait pas l'enfer; j'aurais même cru à tous les contes de fée.
C'est à ce moment-là qu'a pris possession du ciel, l'improbabilité : un arc-en-ciel a surgi de nulle part que même secrètement, j'ai pensé "ah si le paradis n'existe pas, et bien, il n'est pas bien loin" ♫ ♬ ♪ ♩ ♭ ♪
AUTEUR DE LA PHOTO : Gianluigi Festini, publiée avec son autorisation
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