Billet 3. La vie est une loterie !
- florencequoilin18
- 21 avr. 2017
- 3 min de lecture
Grand-père avait rendu son dernier soupir le 5 février 1980. Nous avions ressenti tant de peine, de désarroi, un incommensurable chagrin. D'un cancer, il s'était, à tout jamais, éteint. Nous étions orphelines à plein-temps, "petite mère" et moi. Nous ne roulions pas sur l'or, pour le surplus et même si ma grand-mère vivait de sa pension de survie, elle devrait nécessairement retrouver un travail "au noir" afin de régler les factures de l'hôpital et payer mes études même si je n'allais pas encore au lycée. Alors que le chevalet et les pastels de mon grand-père étaient posés au pied de l'escalier qui menait aux chambres, j'étais en faction, à surveiller l'évolution du feu de cheminée tandis que ma grand-mère achevait de s'affairer à ses besognes. Dès après, nous irons nous retrancher dans nos alcôves et elle me lirait des contes, des poèmes, elle ouvrirait ses grands livres aux images féeriques et colorées qui m'émerveillaient. J'avouerai même que j'en rêvais la nuit. J'imaginais déambuler devant moi le Petit Poucet, la beauté innée de Blanche Neige, Cendrillon et son carrosse, même que le marchand de sable n'était plus passé. Tout ça pour vous dire que ma grand-mère m'a demandé de me hasarder jusqu'à la librairie du village où nous n'avions jamais mis les pieds. Elle n'avait guère le temps de lire les journaux. Quelques péquenauds s'enhardissaient jusqu'à nous rendre visite et y laissaient sur la table à la toile cirée les dernières nouvelles. Ma grand-mère les parcourait à la diagonale comme ça, nous n'étions pas complètement coupées du monde. Elle n'avait pas le moral mais ne le montrait pas. Elle était tellement forte, sous son visage pâle et pourtant Dieu sait comme j'aurais pu, entre deux portes, lui offrir un sourire qui la réconforte. Alors qu'un tintement de cloches m'extirpa de mes rêveries, je poussai la porte de la librairie. Je fus réellement captivée, fascinée par ces livres posés à même la vitrine, ces magazines, des gommes embaumant des parfums de fleurs !, des feuilles de toutes les couleurs, des stylos à billes et des bandes dessinées ! Je m'emparai de l'une d'entre elles et fus charmée par ses bulles animées. Des personnages s'exprimaient sans devoir parler ! Des images représentaient tout ce qu'au jour le jour, je vivais ! C'est fou, ce que par rapport au monde réel, j'étais déconnectée ! Je ne sais plus combien de temps j'y suis restée sauf que j'ai oublié d'y acheter le fameux billet ! Alors que je franchissais le pas de la porte d'entrée de la cuisine, j'ai tout raconté à "Petite mère". Elle s'était beaucoup inquiétée de ma longue absence et là, je lui ai déclaré sans ambages, que, plus tard, je serais libraire ! Libre comme l'air ! C'était ma définition. Elle fut très étonnée par la teneur de mes propos mais avait bien ressenti toutes mes émotions. Le lendemain matin, elle me demanda d'y retourner afin d'y acheter ce fameux billet de loterie et de ne pas y passer la nuit.... Il ne coûtait pas la bagatelle et à vrai dire, revenait bien moins cher qu'une culotte en dentelle ou un drap en flanelle :) Ma grand-mère était tout occupée à son matoufet lorsqu'elle m'a priée de le gratter. Et là, pour la première fois, les yeux écarquillés, j'ai vu des zéros défiler derrière le chiffre 1 et j'ai bien vite compris qu'on avait gagné le gros lot ! J'ai sautillé les pieds joints devant la cuisinière, alors qu'elle remuait les lardons dorés à l'aide de sa cuillère. Et j'avoue que, de nous, je me suis sentie, de suite, très fière ! Je lui ai annoncé la couleur et là, dans un sursaut de joie, elle m'a prise dans ses bras et m'a déclaré : "avec cet argent, si on allait voir la mer ? Je n'ai jamais vu la mer."
Alors là, je vais vous dire, j'ai ri aux éclats car je ne devais pas attendre de grandir pour que son rêve puisse enfin aboutir.
AUTEUR DE LA PHOTO : Christophe Pinatel, publiée avec son aimable autorisation.
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