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Billet 2 : Elle n'avait jamais vu la mer.

  • florencequoilin18
  • 20 avr. 2017
  • 2 min de lecture

C'était un 12 novembre, vers 16 heures. Je m'en souviendrai toujours car le jour déclinait. On se serait vraiment crus en hiver. Il avait fait tellement frisquet et le gris opaque du ciel n'avait pas réussi à percer le moindre rayon de soleil. Le jour était resté, désespérément, suspendu sous la coupe de la pénombre. Dans le salon, le feu de cheminée apportait un peu de chaleur humaine. Les bûches crépitaient et les flammes dansaient alors que mes yeux les suivaient, jusqu'aux braises, leur ombre. Petite Mère avait posé la soupière à même la table, sur la nappe à carreaux en crépon, éternellement froissée. Alors, nous nous sommes attablées. Petite Mère ne cessait de bavasser. Je l'écoutais d'une oreille à sa perte car j'avais idée que sempiternellement, elle ne se répète. Je me régalais de ce repas frugal que je considérais comme une bénédiction, un cadeau de la vie car nous n'étions pas bien riches, nous vivions chichement, sans jamais nous plaindre ni craindre de manquer de quoi que ce soit. Nous étions heureuses, sans nous poser de questions. Nous nous sustentions de peu. Nous nous occupions du jardin, de retourner la terre afin d'y extraire les pommes de terre, de nous empiffrer de petits pois à écosser, du poulailler, de ramasser les oeufs, du verger, de cueillir les noisettes et les champignons des prés afin d'en faire des omelettes, de tondre le gazon, sans avoir à zieuter vers une autre ligne d'horizon. Nous voyions défiler avec plaisir le fil des saisons, nous savourions chaque dimanche tel une nouvelle page blanche. Dès l'aube, nous nous rendions à la messe où nous croisions d'autres péquenauds que nous saluions avec entrain tout en fredonnant des airs d'autrefois, d'anciennes chansons, toujours les mêmes refrains, mais avec émoi. Petite Mère n'avait jamais pris le train, n'avait jamais vu la mer... Et oui, parfois, c'était un peu la galère mais elle aimait coudre, rapiécer, tricoter, et comme elle le disait si bien, avec son accent de par chez nous, raccommoder ! Repriser, faire des ourlets, réparer les trous. Des bouts de laine traînaient à même le sol carrelé de la cuisine. Dans un panier tressé, étaient disposés des épingles de sûreté, des dés à coudre, des chas et aiguilles à tricoter, et sur le guéridon, se dressait sa majesté : la machine à coudre. Elle était reluisante et régnait en maîtresse telle une forteresse sur un village, au timbre du crépuscule, remarquablement illuminé. Mais ma grand-mère n'avait jamais vu la mer... Dans un coin de sa mémoire, elle en gardait un goût amer, une frustration, ou une insatisfaction. Je ne le saurai jamais, à moins de l'extirper de ses secrets.

Alors je me suis promis des choses pour éloigner ses humeurs peau de chagrin.

Puis, j'ai rêvé de grandir alors que je n'avais que neuf ans. J'ai rêvé d'un autre monde où je lui offrirais des colliers sertis de perles, des robes de satin, des chapeaux enrubannés sentant bon le parfum, la lavande ou le jasmin.

Et puis, bon, nous verrons bien demain"... ♫ ♬ ♪ ♩ ♭ ♪

AUTEUR DE LA PHOTO : Francis Martin, publiée avec son autorisation.


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