DEDICACE A MON GRAND-PERE
"Je me souviens très bien; c'était au printemps, j'avais neuf ans, je n'étais encore qu'une petite blondinette en salopette. Lorsque je l'ai aperçue, alors que tu la déposais sur mon bureau, j'ai cru être à mille lieux sous terre. Je la trouvais tellement belle, pimpante et brillante, telle une étincelle ! Bien sûr, elle était nouvelle. Elle sortait du magasin or tu sais très bien que par chez nous, on se contentait de peu, voire de rien. Tu m'avais appris à compter, installée sur tes genoux. Et aussi les mots se finissant en x, aussi : poux, hiboux, bijoux, cailloux.... Et les fables, tu avais un faible pour les fables. Tu étais mon maître, un être sage et fou, mais aussi inénarrable. Et Blanche-Neige pour m'endormir car je craignais le marchand de sable, raison pour laquelle j'ai toujours fait l'impasse sur les pommes... Ben oui, tout s'explique. Honorable bonhomme, va ! Enfin, bon, pour en revenir à nos moutons : elle était là, imposante, cette machine à écrire ! Sauf que si tu m'avais appris à écrire, je devais encore poser mes doigts sur les touches qui me paraissaient farouches. Je n'avais jamais vu cet objet. Je m'en suis approchée, l'air intrigué et inquiet. Elle me murmurait déjà tant de secrets. Tu avais eu à coeur d'apporter des feuilles. Des feuilles blanches, comme un dimanche ! Oh seigneur ! Ce fût le plus beau cadeau de toute mon existence ! Tu étais mon Dieu ! Tu demeures un Ange ! A tout jamais, je n'oublierai ce cadeau que tu m'as fait. Avec frénésie, j'ai tapoté sur les touches avant de les apprendre et de ne plus savoir m'en passer. Tu avais compris, tu avais deviné : ta petite-fille adorée, celle qui jouait encore aux billes et à la poupée, voulait écrire, poser sur le papier ses rêves, ses ires, sa révolte, ses colères, ses larmes et ses rires... Oh mon grand-père, comme le temps a passé; je t'avoue qu'il ne s'est écoulé un jour sans que je ne pense à ce moment-là, à ce joyau qui, je l'avoue, est enveloppé sur un établi dans ma cave là où s'entassent telles des épaves, les vestiges de notre passé, des outils de jardin que tu as utilisés, des clous rouillés, un marteau, une enclume, des clames, un fouillis sans trame, une pièce de vie où toute ma sensibilité, désormais, s'exclame ! Et oui un recueil de souvenirs à la pelle, du balai au pinceau qui traîne, du vieux vélo sans chaîne, là où les minutes s'égrènent perdues dans ces murs qui perdurent à exister alors que la moisissure s'en est emparée. Mon grand-père, je te remercie, pour m'avoir offert... La vie".
AUTEUR DE LA PHOTO : Chérif Benabid, publiée avec son aimable autorisation.