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CE QU'IL ATTENDAIT DE MOI...

"Le décor était planté. Cela faisait des plombes que je n'avais plus pédalé, le vélo était immobilisé dans le parking de la gare ferroviaire, esseulé. L'hiver arrivait à son terme. Même si la brume persistait, je n'étais en aucun cas découragée. De mes fesses, j'allais épouser les contours de la selle, poser à même les pédales mes sandales, le béret vissé sur la tête, prête à perdre mon temps à des bagatelles. Alors, je suis partie, bien couverte, à l'aventure, le sac à dos taisant mes courbatures, l'oeil alerte, à la découverte d'une zone inhabitée, quasi enfantée et pure. Loin des murs qui encerclent la ville là où le monde qui transparaît semble hostile, éteignant les bruits ambiants qui se distillent, j'avais déniché un endroit paisible, où la sérénité était de mise, plus rien ne me paraissait pénible, pas même son emprise. Et oui, j'avais décidé de quitter Jacques, définitivement. J'avoue que la force de nos sentiments ne pesait pas bien lourd dans la balance de mon raisonnement... Si j'avais été photographe, j'aurais parlé de la balance des blancs alors que la noirceur s'était incrustée à même son esprit malséant. J'avais découvert la jalousie d'un être faible, infantilisé, un homme qui attendait tout de moi alors que je n'attendais rien du tout ! Juste que je prenais les choses comme elles venaient, si elles cheminaient jusqu'à moi alors que lui, était continuellement aux abois. J'avais pris note des post-scriptum de son existence, je ne pouvais en aucune manière parapher le te deum de ses desiderata et de ses revendications. Donc, nous allions en rester là. Alors que je bondissais sur mon vélo, tout en sifflotant avec allégresse et élan, j'aperçus un banc ! Cette aire de repos me fût bien propice. Extraite hors du temps, imprégnée par cette atmosphère si particulière, douce au regard et un tantinet mystérieuse, j'avoue avoir ressenti des frissons de plaisir. Oui, j'étais heureuse ! Cela peut prêter à sourire ! Ame solitaire, mais libre.. Adieu les chaînes, les cadenas, les rustines, les trous dans les pavés creux, les verrous ! J'avais pris conscience que ce qu'il attendait de moi, personne ne pouvait lui offrir. Jamais Jacques ne retrouverait sa jeunesse, il ne pourrait déposer dans une consigne les erreurs qu'il avait commises, ses regrets, les rides qui ondulaient sur son visage, ses aigreurs, sa terreur de vieillir, de mourir à petit feu, loin de tous, dans une solitude extrême, mal aimé, dépouillé, dévasté... ! Alors qu'il était tiraillé par mille tourments, habité par un satyre ou un sorcier vaudou (va savoir) , en fait c'était lui qui creusait son propre trou, sa tombe... ! Il aurait aimé remplir les cases blanches de son existence en prenant en otage la quintessence de celles, colorées, des autres. Tout cela pour dire qu'on peut brûler ce qu'on a adoré. Enfin bon, les bûches n'ont pas encore été consumées... Mais à bien y réfléchir, je préfère le brouillard épais au soleil aveuglant. Au moins je risque de ne pas finir tels des décombres calcinés, des arbres en perdition, à l'abandon.

D'après une très belle photo de Loïc Douessin publiée avec son aimable autorisation.


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