UNE HISTOIRE SOMME TOUTE BANALE ... Sauf que ...
- florencequoilin18
- 15 avr. 2017
- 4 min de lecture
Je me suis levée ce matin en me posant une question existentielle : a-t-on vraiment besoin d'aimer quelqu'un pour être heureux ? Ne peut-on apprécier tout un chacun et personne en particulier ? Avec le temps qui passe, alors que j'avais jeté l'ancre sur une solitude qui était loin de me déplaire, que je considérais plutôt comme un cadeau que comme un fardeau, je contemplais les paillettes blanches qui recouvraient l'arboretum. Et oui, il avait neigé. De la fenêtre de ma chambre, j'avais vue sur les arbres, en permanence. Que demander de plus à la vie que cette source d'inspiration omniprésente ? J'avais tout pour être heureuse, en somme... J'avais à l'esprit ce rendez-vous avec Jacques, ce soir. Serait-il présent ? J'avais tant espéré le revoir. J'avais même songé qu'il ne puisse venir et m'étais préparée psychologiquement à son absence. Dès lors, je me suis rendue chez lui, rue Clichy, 3. J'ai tambouriné à la fenêtre de son appartement. Il a ouvert la porte d'entrée, m'a blottie dans ses bras et j'ai pu lui offrir le fameux ballotin de pralines que j'avais placé au frigidaire, hier. Alors que je pénétrais pour la première fois dans son habitation, je fus saisie par la quantité d'objets hétéroclites, posés ça et là, une multitude de photographies, des pans de fragments de vie, des statuettes, des meubles exotiques (Jacques a énormément voyagé, par le passé), et la télévision crachait un débit de paroles insensées où des personnages stupides s'animaient; régnait en maître des lieux un capharnaüm auquel, personnellement, je ne suis pas du tout habituée. Je me suis assise dans un grand divan en cuir dépareillé, perdue au beau milieu de coussins moelleux, et Jacques a saisi une praline au vol. Je me sentais tellement bien... J'ai furtivement jeté un oeil vers la table basse où Jacques avait posé une kyrielle de feuilles blanches parsemées de croquis, d'esquisses, de dessins que même si mon imagination l'avait permis, j'aurais pu voir danser les crayons de couleur entre ses doigts... Jacques dessinait, c'était sa passion, il dessinait tout le temps, inlassablement... Alors qu'il m'expliquait la signification de ses dessins et qu'il me racontait son passé, les minutes s'égrenaient; le monde aurait pu s'écrouler sous nos pieds, j'étais plongée dans une bulle de bonheur qu'aucun mot n'a encore été inventé pour le raconter. Bras dessus, bras dessous, nous avons décidé, de commun accord, de nous rendre au restaurant. Jacques est un personnage haut en couleurs, un érudit, un artiste, un farfelu, une grande gueule; il a une prestance qui impressionne, il pourrait même paraître pour un charlatan et son air altier, même s'il le rend élégant, le discrédite souvent aux yeux des autres. Lorsque vous entrez pour la première fois dans un établissement, vous avez une vue d'ensemble. Vous captez d'un battement le cils le décor : le personnel, les gens qui sont présents, le bruit de fond, les notes de musique qui sautillent, les senteurs, le parfum des bouquets de fleurs... Mais, ce que je déplore toujours, c'est qu'on ne puisse choisir la table où l'on s'installe alors que nous savons pertinemment bien que nous allons rester une poignée d'heures à discuter et à lier plus amplement connaissance. Donc le serveur a désigné nos places dans une arrière-salle impersonnelle mais pas trop proche de la porte d'entrée. C'est déjà ça... Jacques observe. Tout et rien. C'est dans sa nature, je le suis du regard et tandis que mon esprit divague en tentant de percer son mystère, le serveur nous tend déjà la carte et une coupelle de champagne nous fait face. Tchin tchin ! Trinquons à la nouvelle année ! A nos vies parallèles, à notre rencontre, à notre destinée, à notre sympathique complicité, à notre petit grain de folie ♬ ♪ ♩ ♭ ♪ ♬ ♪ ♩ ♭ ♪ Trinquons ! Fiesta et cotillons s'y sont invités ! Donc, nous nous étions mis d'accord pour goûter à la traditionnelle choucroute du Nouvel An. Après une petite mise en bouche, somme toute fort agréable, nous fûmes servis rapidement. Jacques est de nature gourmande, épicurien dans l'âme, et il sait apprécier les choses à leur juste valeur mais a l'esprit critique. Très vite, il m'a avoué qu'il n'appréciait pas le repas. Il trouvait la purée de pommes de terre fade, il a donc demandé à disposer de noix de muscade, c'était effectivement plus que nécessaire... La krakowska était dénuée de goût et le jambonneau était aussi sec qu'une colonie de roseaux, le chou était heureusement très bien assaisonné, il n'y avait rien à redire là dessus. Nous avions commandé une bouteille de Riesling qui, non plus, n'a pas emporté sa conviction... Décidément ! Alors que le serveur est venu s'emparer de nos assiettes et a posé la question tant redoutée : "vous avez bien mangé, m'sieur-dame ?", Jacques s'est esclaffé et j'ai été prise d'un fou-rire inextricable et particulièrement gênant que, pour peu, je me serais étouffée. Jacques a planté ses yeux dans ceux du serveur et lui a décrit en long et en large le moindre ressenti de ses papilles gustatives dépitées. Non, nous n'avions pas bien mangé, à son estime et alors que je riais de plus belle, je me suis précipitée vers les toilettes. Je ne pouvais imaginer à quel point sa franchise n'avait aucune limite... Il m'avait éperdument décontenancée ! Alors, pour finir la soirée, nous avons ingurgité quelques Amaretto pour affronter les frimas de l'hiver alors que nous allions sortir et rentrer chacun "chez soi"... Dès l'instant où Jacques réglait l'addition, il m'a demandé "Tu sais pourquoi je t'aime bien, ma petite ?" et moi, pendue à ses lèvres, comme une élève devant son professeur préféré, je l'écoutais, le baratineur lorsqu'il a ajouté : "pour ta personnalité, ton intelligence et ta bonne humeur". Mes joues se sont empourprées, j'étais quelque peu flattée. Nous clopinions dans la ville éteinte, à la recherche de mon arrêt d'autobus. Je me suis tournée vers Jacques et lui ai demandé d'esquiver un pas de danse, et nous avons dansé.. et alors là; alors que nous étions sur le point de nous séparer, je lui ai dit : "tu sais pourquoi je t'aime bien, mon petit ?". Sous le masque de ses grands yeux effarouchés et au détour d'un sourire naissant, tandis qu'il fronçait les sourcils, l'air interrogatif, je lui ai tout simplement offert un tendre baiser. C'était la seule réponse que j'étais à même de lui apporter".
D'après une de mes photos prise à l'arboretum à Namur. Et le souvenir mémorable de moments extraordinaires vécus avec Jacques.
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