UN HOMME PAS DU TOUT ORDINAIRE
- florencequoilin18
- 15 avr. 2017
- 3 min de lecture
Personne n'est ordinaire ni quelconque. Tout le monde a sa place dans notre société. Nul n'a le droit de porter un jugement ou d'avoir à l'idée de vouloir changer la personnalité de l'Autre. Si d'aventure un très mauvais élément parvenait à se faire un nom et à passer entre les mailles du filet, et bien tant pis, il aura marqué l'Histoire de son empreinte. C'est ainsi que naissent les dictateurs, les grands de ce monde, ceux qui remplissent les cimetières... Enfin là n'est pas là le débat. Cela fait quelques semaines que j'évoque Jacques et sa personnalité un peu trouble et tourmentée. J'ai bien tâché de me mettre à sa place, de "forer" dans son cerveau, d'en extraire quelque chose de tangible, de constructif mais je n'y parviens pas. Rien à faire. Je cherche juste à comprendre comment et pourquoi un homme doté d'une telle intelligence, d'un savoir qu'il a alimenté tout au long de son existence, gratifié d'une faconde à couper le souffle, peut autant s'ennuyer.. Il n'y a rien à faire, j'ai un blocage par rapport à ça. J'aurais voulu l'extraire de sa solitude ou de son mal-être, je ne sais mais il m'inspire, ce Jacques. Il me fait penser à ces arbres noirs, plongés dans les ténèbres, où l'on semble suffoquer à chaque instant sous le poids d'un mystère abscons. Ce paysage hors du temps porte en lui toute la puissance du désespoir que l'on devrait fuir mais qui, par moment, nous attire.... Je l'ai revu, justement, ce dimanche au sortir de ma balade forestière. Chaussée de mes bottines de marche boueuses, le legging me tenant bien au chaud sous mon manteau d'hiver, l'écharpe calée dans mon cou, les mains gantées, les cheveux défaits. Je me suis dit que j'allais bien aller prendre un dernier verre avant de rentrer, à la taverne où je l'avais rencontré, il y a un an. Il était là, attablé avec d'autres gars. Il jaspinait. Il sirotait un thé. Je lui ai dit que je ne faisais que passer car les gens qui s'ennuient me désespèrent. Il y a tellement à faire, à apprendre, à comprendre alors, vous pensez bien, les geignards et les couards, me consternent. Je ne me suis pas gênée pour lui faire passer le message,si vous voyez ce que je veux dire... Evidemment il en rajouté une couche par sa culture sans faille. J'ai failli rester, car l'acquis me charme. Mais je suis partie. Jacques a une vie bien rangée. Comme les petits vieux, je ne critique pas, je promets, juste que je relate les faits. Il se lève à telle heure, prend son petit-déjeuner, goûte à ses fruits de saison, boit un jus d'oranges et se prépare un café ou un thé, selon... Il beurre sa tartine de fromage frais. Un homme simple, en somme... Il lit des bouquins, allume la télé, sort de chez lui pour aller faire ses courses au jour le jour... puis il se rend à la taverne où il rencontre d'autres individus avec qui il discute; il se fiche pas mal de savoir s'il est midi ou minuit, il vit... Ainsi va sa vie... C'est ainsi qu'on a lié connaissance, nous étions deux êtres hors du temps... Moi je n'ai jamais porté de montre et lui, et bien, il prend son temps, ça tombe plutôt bien. Mais voilà il passe ses journées de retraité comme d'autres vont travailler. Mais il ne pense pas un seul instant que d'autres puissent vivre différemment de lui.. C'est là où le bât blesse. Il désire capter toute l'attention, être le Roi du monde, or de nos jours, peut-être égoïstement, parfois on doit pouvoir aussi prendre du temps pour soi et pour sa famille, ses amis, aussi. Mais Jacques, ça, il ne le comprend pas... Je lui ai bien proposé d'aller fouler ces forêts où les arbres ont l'air tristes alors s'ils sont si vivants, de lui apporter de la lumière alors qu'il s'éteint au fil des minutes qui s'égrènent, j'ai tenté de trouver une solution, de lui offrir un peu d'affection mais Jacques se referme comme une huître dont la perle s'est enfouie dans l'océan....
Alors la morale de cette histoire, si je puis me permettre, c'est qu'on ne peut aller à l'encontre de ce que l'Autre souhaite, on peut le soulager en portant sa valise d'angoisses mais on ne peut supporter toute la misère du monde; tout un chacun doit fournir des efforts pour s'en sortir ou ne pas sombrer, trouver en lui les ressources nécessaires pour avancer. Et même si le décor semble être triste et condamné, il y aura toujours une petite lumière qui brûlera, quelque part.
D'après une très belle photo de Eric Boucher, publiée avec son autorisation.
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