CHEZ MOI...
"Pendant la nuit, j'avais rêvé d'un autre monde, un univers teinté de sérénité et peuplé de rêves en partance, où étaient suspendues à la dérive, les secondes. Au timbre du crépuscule, je m'étais sauvée de mon alcôve. Nous étions dimanche, mon jour préféré, celui des pages blanches à colorer et du stylo à billes qui traîne sur le pupitre juste à côté du bouquet de fleurs séchées. Plongée dans un roman de Sartre, j'avais dû m'en extraire, bien à regret, histoire de me changer les idées. Tel un pain béni alors que la messe battait son plein, j'avais les guibolles en forme de corolles, ce qui signifie que l'énergie du printemps à venir m'habitait déjà. Les campagnes n'attendaient plus que le bruit de mes pas, mon coeur en émoi. L'air ambiant était humide, le ciel chargé de neige, et le vent s'était glissé à travers les interstices des arbres, faisant balancer les branches, imperceptiblement. Chaussée de mes bottes de marche, j'ai foulé ce pré inhabité, recouvert de brins d'herbes sauvages, pas même abîmé, même que j'ai cru y apercevoir la présence de roseaux. Le cri strident des oiseaux de passage déchirait le silence. Seule parmi les vivants, j'étais bien, même si je suis bien partout, désormais. Et là, au loin, une vieille bâtisse, un peu dépareillée, faisait office de compagnie. Je m'y suis rapprochée afin de m'imprégner de cette atmosphère hors du temps, de ce lieu délesté et déguisé. Les volets étaient baissés, la porte d'entrée verrouillée, des taches de rouille s'étaient emparées des poignées des fenêtres. Ce décor semblait être figé, immortalisé, glacé, saupoudré d'intrigue qu'on aurait pu y écrire des nouvelles, billets imagés voire même des opuscules secrets. Ce paysage était aux antipodes de me déplaire. La façade était flanquée de lattes de bois, le toit, semblait être à l'abandon; certes, il aurait fallu y apporter de menues réparations et une couche de peinture dès le retour à la belle saison. Quelques vaches paissaient dans l'étable attenant et des meules de foin disposées nourrissaient le bétail en déperdition. Dans cette maison, j'aurais pu y laisser mon âme ou mon regard en pâmoison, selon... Mais j'avais hâte à trouver une solution afin de m'y faufiler en effraction ! Découvrir ce site qui attisait ma curiosité et faisait vibrer mon imagination ! Mais bon .. Je n'étais en aucune façon la gardienne de cette habitation. Donc, avant de poursuivre mon périple, j'ai posé ma besace au pied d'un arbre dépouillé, me suis emparée d'un bout de saucisson et ai respiré à pleins poumons cette pureté inouïe et dépourvue de raison. La grâce infinie qui émanait de cet endroit me donnait à penser que tout ce qui m'aurait entourée d'autre m'aurait paru étriqué et étroit, tel un sentiment d'abnégation. Je ne sais si vous pouvez me comprendre .... Je vous en donne le droit. Tâchez si faire se peut d'apprendre, au risque de vous méprendre. Il était une fois une grande maison abandonnée saisie par les frimas mais qui même, si elle ne payait pas de mine, emplissait mon coeur de joie".
D'après une très belle photo de Denise Hebert, publiée avec son aimable autorisation.