J'ATTENDS JUSTE QU'IL S'EN AILLE
"Des lunes que je sature de ses humeurs, des aigreurs de son autosatisfaction, d'attendre qu'il parte pour écrire, oser sortir de ma torpeur, m'épanouir, retrouver mon espace de liberté, ma raison, la quiétude qui m'anime, cesser d'être un mime, une marionnette dont il tire les ficelles et être l'esclave de son ingratitude, sous le joug de sa soumission.
Aux petites heures du jour, mon esprit exulte au son du clocher. Comme un nouvel amour qui m'aurait approchée. Danser, flotter, tel un bourgeon qui renaît d'un marronnier, à la belle saison. Eprouver de la joie, du plaisir, comme si sa présence avait annihilé tout ce qui m'entoure et m'inspire. Il a mangé, par quartiers, toute mon énergie. Il est le pilier de mes états d'âme en péril. Je dois me sauver, briser les ailes de son désir, tout ce qui, en lui excelle, m'ensorcelle et désormais, expire.
Alors que je me lève la première. Lui, a toujours bien le temps. Il n'a rien à faire. Il s'ennuie, dirait-on. Il tire les tentures bruyamment, regarde par la fenêtre, zieute les gens. Il passe sa journée à lire des magazines, à colorer ses tartines de pépites de chocolat émiettées et pourlécher ses babines de crèmes glacées.
Pendant ce temps-là, moi, je fuis .... Alors que le crépuscule jette son dévolu sur mes nuits inhabitées, je cours à en perdre haleine, je deviens la gardienne des clairières des forets en peine, la sirène des vagues qui s'enroulent sur elles-mêmes, la reine des moments de silence capturés. Je n'ai pas de point de chute, ni de repère. Les arbres, la mer... Vogue la galère !
Peu m'importe, juste échapper à son air. Vivre pour moi-même et que du contact avec la nature, se brisent enfin les chaînes, qui, de lui, me retiennent. J'ai fermé mes écoutilles le temps de courtiser les sentiers peuplés de conifères, là où je puise cet oxygène qui m'extrait de mon enfer, sous le regard bienveillant du grand chêne où les glands se méprennent, et où les fougères étouffent la mousse et recouvrent les champignons dont naguère, on aurait épluché le pied et le capuchon pour les goûter à même le poêlon.
Mais, là, j'avoue, j'avais en tête de bien d'autres préoccupations : une échappée belle ! Quitte à creuser de ma pelle à même le sable blond, une tombe irréelle, afin de me cacher, le temps d'une rébellion, reprendre racine, me dessiner une ligne d'horizon, panser mes blessures, guérir de mes obsessions, de cette terre d'enfance où le mot "abandon" prend tout son sens, dévastateur et cruel, évoluer, trouver en moi cette force tranquille qui m'habite à tout jamais et qui me porte vers une terre de miel et non stérile et aride où seuls des êtres chers me couvrent de menues attentions.
Mais surtout, ne jamais lui revenir. Perdre la mémoire : celle des sentiments, des espoirs réduits à néant, couper ces liens qui nous attachent, ceux des chrétiens et des lâches, jusqu'à m'en briser les os et à être réduite à peau de chagrin, couverte d'oripeaux. Et par la force des choses, avoir un coeur aussi sec qu'un nid de noisettes.
Et se dire qu'après tout, des cendres, on renaît toujours. Il suffit d'une flammèche pour faire chanter un feu de cheminée. Pratiquer une brèche afin de m'en sortir car il n'y a rien de pire que la petite mort, subir. Fermer le portail sur les détails. Prendre seule le gouvernail, au risque de me débattre, de me noyer, au mieux m'en sortir, et le courage d'avoir pu le combattre.
Briser ses rêves qui, depuis des années, me tenaillent. Tarir la source de nos batailles, jusqu'à en laisser couler le sang de mes entrailles.
Et maintenant, J'attends juste qu'il s'en aille."
D'après une très belle photo d'André Bertrand publiée avec son aimable autorisation.